#1 Le Jaune : Son histoire

Me voici repartie pour continuer ma série d’articles sur les couleurs. Ayant déjà traité le Bleu, puis le Rouge, je viens clôturer ici le groupe des couleurs primaires, en bonne plasticienne que je suis. Voici donc le premier article sur la couleur Jaune et comme à mon habitude, je commence par un brin d’Histoire. Depuis le Moyen-Âge jusqu’à aujourdhui, le Jaune est une couleur plutôt mal-aimée. Elle arrive en 6e position des couleurs préférés des Européens, peu importe l’âge ou le genre, autant dire en queue de peloton. Et bien que les sociétés anciennes la considèrent comme une couleur bienveillante et bénéfique, le Jaune va rapidement se laisser dépasser par sa mauvaise réputation.

L’Homme a très vite su fabriquer des pigments jaunes (ainsi que rouge), avec une grande variété de nuances. D’abord en peinture, au Paléolithique, avec l’hydroxyde de fer contenu dans les terres argileuses, puis bien plus tard, en teinture. Les pigments jaunes sont nombreux. Ils sont plus ou moins onéreux et résistent plus ou moins au temps, mais il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses. Le fait que le jaune soit une couleur peu appréciée ne résulte donc pas d’une difficulté de fabrication ou d’utilisation de la couleur.

Par ailleurs, le jaune est très présent dans la nature. Il est la couleur du soleil, bien sûr, mais aussi des fleurs, des fruits mûrs, du blé, du miel et de la cire… Autant d’éléments précieux à la vie. Mais il aussi la couleur de l’or, qui va un peu lui voler la vedette et endosser le bon rôle, en lui laissant les plus mauvais aspects.

Mais alors, que reproche-t-on à ce Jaune ? Depuis les XIVe et XVe siècles, l’image de cette couleur se dégrade et l’on distingue trois catégories à ses mauvais côtés. On lui reproche dans un premier temps, de révéler la vieillesse, le dépérissement et la maladie. Le verbe « jaunir » est en effet souvent associé à quelque chose qui prend de l’âge de manière peu gracieuse ou qui se salit. Il ne signifie pas simplement devenir jaune mais se charge d’un sens plus péjoratif, un peu répugnant. De plus, le jaune est quand même la couleur de l’urine et également de la bile, humeur corporelle que l’on peut surtout observer chez les personnes malades ; les autres gardant leur bile là où elle est. Il faut être honnête, il y a plus sexy, ce qui altère un peu le côté ensoleillé et pêchu de cette teinte.

Le second niveau fait de la couleur jaune, celle de la trahison et du mensonge. Associée tout d’abord à la folie, le Jaune devient très vite l’attribut de certains vices comme la jalousie, mais surtout celui de l’Envie, l’un des sept péchés capitaux. Véritable coup de massue de la société chrétienne envers le Jaune, qui incarne dorénavant l’hypocrisie, le mensonge et la trahison. Il sera d’ailleurs la couleur portée par Judas dans de nombreuses représentations picturales, le symbole de la traitrise par excellence ! Et oui, rien que ça ! Encore aujourd’hui, on dira d’un bouquet de fleurs jaune, qu’il symbolique l’infidélité de celui qui l’a offert. Dommage, soit dit en passant parce que j’adore les fleurs jaunes !

Mais ce n’est toujours pas fini pour le Jaune, qui commence à avoir les épaules un peu chargées. Le troisième niveau et évidemment, pas le moindre, est celui de l’infamie et du déshonneur. Et oui, au Moyen-Âge, on peint en Jaune les maisons des coupables de lèse-majesté, les traitres, ceux qui devraient vivre dans la honte. Figurez-vous que l’on commence, à cette même époque, à apposer sur certaines tenues, des écussons de couleur jaunes, en forme de rond ou d’étoile, pour positionner en marge de la société une certaine catégorie de personnes. Ca ne vous dit rien ? Cette rouelle du XIIIe siècle, sera un symbole malheureusement repris au cours du XXe.

Le Jaune n’échappe pas à la classification des couleurs lors des Réformes Protestantes du XVIe siècle. Sans suspense, le jaune est affecté du côté des mauvaises couleurs, les couleurs déshonnêtes (en opposition avec les couleurs honnêtes), celles qui sont trop voyantes, celles qu’il ne fait pas bon de porter sur soi.

Au XVIIIe siècle, les tenues se colorent, autant dans le milieu bourgeois que chez les plus modestes. Le jaune reprend un peu du poil de la bête et sera pastel sur les tenues luxueuses et plus vif sur les vêtements de la classe moyenne. Le XVIIIe siècle voit aussi se développer le goût pour le monde oriental, qui émerveille par la richesse de ses ornements et des ses couleurs. Le Jaune est alors associé aux pays asiatiques, sans véritable raison d’ailleurs, mais sans allusion raciste pour autant, comme ça peut l’être aujourd’hui. Depuis lors, cette association entre la couleur jeune et le continent asiatique s’ancre dans l’inconscient collectif : le jaune sera la couleur symbolisant l’Asie lors de la création des anneaux olympiques en 1912.

A la fin du XIXe siècle, la présence du jaune dans les tableaux devient plus fréquente. Jusqu’alors, le jaune était peu présent sur les toiles et était plus un accent qu’un élément à part entière. Mais l’invention des tubes de peinture permet aux peintres impressionnistes de développer la pratique de la peinture en extérieur. De fait, les artistes sont confrontés à la forte présence du jaune dans la nature et ont de plus en plus besoin de le représenter. Au fur et à mesure de l’évolution de l’art du début du XXe siècle, les jaunes s’affirment et se font de plus en plus vifs.

VAN GOGH Vincent, La Méridienne ou La Sieste, (1853 – 1890)

DERAIN André , Port de Pêche, Collioure (1905)

LICHTENSTEIN Roy, Thinking of him, 1963

Enfin, ce sera au milieu du sport de revaloriser la couleur jaune par la création des premiers maillots. D’abord les maillots blancs s’opposent aux maillots noirs, puis l’on intègre du bleu et du rouge, enfin le vert et le jaune. Il devient le symbole d’une équipe que l’on est fier de porter sur soi, une couleur que l’on revendique. On est loin du jaune des crimes de lèse-majesté ! La plus grande revalorisation du Jaune au XXe siècle, est directement liée à la création du maillot jaune dans le milieu du cyclisme, en 1919. Le Jaune devient la couleur du meilleur, de celui qui occupe la première place. Et l’expression sera même, plus tard, utilisée dans des domaines autres que le sport. Fait historique amusant, si le jaune a été choisi, c’est simplement parce que le Journal l’Auto, qui organise la course, est imprimé sur un papier bon marché de couleur jaune.

Historiquement, le Jaune n’a pas eu la vie facile. Bien qu’il commence à retrouver de la valeur aux yeux de certains, son passé est encore bien ancré, même inconsciemment, dans l’esprit de chacun de nous. En sport toujours, il sera un demi-rouge lorsqu’il viendra teinter un carton. Toutefois, dans le milieu de la décoration, il semble prendre sa revanche, mais ça, nous le verrons dans un autre article.

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Lise-Pauline Henry

Fondatrice de l’agence d’architecture d’intérieur et de décoration Tadaima Concept, je suis diplômée d’Etat en Architecture et titulaire d’une Maitrise en Arts Plastiques. Créative pure souche, j’aime dessiner, coudre, jardiner, bricoler, voyager… m’inspirer de ce qui m’entoure pour enrichir mes projets et partager avec vous tous mes secrets !

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