#1 L’Orange : Son Histoire

Aujourd’hui, nous commençons une nouvelle série d’articles sur les couleurs. Après avoir traité l’ensemble des couleurs dites « primaires », ainsi que le Vert, je vous propose de continuer avec une deuxième couleur « secondaire » : j’ai nommé l’Orange. « Couleur la plus gaie qui soit » selon Frank Sinatra, les avis sur cette couleur sont pourtant plutôt mitigés. L’Orange n’est ni une couleur préférée, ni détestée, bien qu’il semblerait que les Hommes l’apprécient davantage que les Femmes.

Selon les époques, la couleur Orange n’a pas toujours été appréciée et n’a même pas eu de terme pour la désigner avant le XVIe siècle. Je vous laisse découvrir son Histoire.

Préhistoire : Un pigment Ocre très répandu

La couleur Orange est très répandue sur les peintures murales préhistoriques, et ce sur de nombreux territoires (Europe, Afrique, Asie…). Ce phénomène s’explique par la facilité d’obtention de cette teinte grâce aux pigments d’Ocre.

Désignant un ensemble de roches contenant de l’oxyde de fer et de l’argile, l’Ocre fut un des premiers pigments maitrisés et donc utilisés par l’Homme. Il en existe plusieurs types, plus ou moins chargés en oxyde de fer ou en argile, donnant ainsi des teintes variées : la Goethite (Minéral Noir dont les traces et la poudre devient Jaune), l’Hématite (Rouge) et plus rarement la Limonite (Brun). Le ton orangé est quant à lui obtenu en chauffant les pigments, une technique courante permettant de créer une infinité de nuances en fonction des temps de cuisson.

Il existe deux méthodes de préparation des Ocres avant utilisation. Soit les morceaux d’ocre sont taillés afin d’en faire des sortes de crayons. Soit les fragments sont broyés ou frottés pour obtenir une poudre. Celle-ci est alors mélangée à un liant tel que l’eau, la salive ou la graisse animale, afin d’obtenir de la peinture. Cette technique permet de faire tenir la couleur mais également de l’utiliser sur le corps. Elle est alors appliquée directement avec les doigts, avec des sortes de pinceaux ou d’outils pour l’appliquer, ou carrément en crachant le mélange pigment-salive directement sur le support.

Antiquité et Moyen-Âge : Des pigments chers ou toxiques

Dans l’Antiquité, il existe 2 pigments minéraux permettant d’obtenir du Orange : le Realgar et l’Orpiment. Très peu stables et altérant les autres couleurs, ces pigments n’étaient que très rarement utilisés sur les fresques mais plutôt sur les enluminures des manuscrits pour limiter leur contact avec l’air. Utilisés jusqu’au Moyen-Âge, ils se composent de sulfure d’arsenic, ce qui rend dangereux leur utilisation du fait de leur toxicité. Pour cela, ils seront utilisés comme poison contre les ennemis, appliqués sur les pointes des flèches. Néanmoins, durant plusieurs siècles, ces pigments seront aussi employés pour créer des cosmétiques !

Le Safran est également utilisé pour teindre les vêtements. Selon la quantité employée, le tissu sera jaune, orange ou rouge. La teinte obtenue avec le safran est vive et profonde, très qualitative. Mais il reste un pigment extrêmement couteux. Il est donc réservé aux Rois notamment sur les territoires perses, mèdes ou babyloniens.

Dans la Rome Antique, la couleur Orange doit sa célébrité à l’Ambre, une pierre précieuse en résine fossilisée d’une grande valeur, que l’on associe même à certains Dieux. Les Empereurs ou les personnes de rang social élevé arborent des objets en Ambre comme marque de richesse. Ils se teignent d’ailleurs couramment les cheveux de cette couleur pour marquer leur position sociale. Toutefois, il s’agit plus d’une teinture blonde (blond vénitien) que vraiment rousse. Au contraire, la rousseur naturelle sera considérée comme une véritable anomalie voire un signe de malignité au fil des siècles. Nous y reviendrons.

Au Moyen-Âge, de nouveaux pigments font leur apparition sur le territoire européen, avec les premiers navigateurs et explorateurs, et notamment Pedro Alvarez Cabral, connu pour ses voyages en Inde et au Brésil. Il serait à l’origine de l’introduction du pigment provenant du « Bois-Brésil », un bois orangé aux propriétés fortement colorantes. On lui accordera également la découverte du Roucouyer chez les Indiens d’Amérique du Sud, un arbre dont les fruits contiennent des graines rouges aux propriétés tinctoriales fortes. Un arbre appelé aujourd’hui l’arbre rouge à lèvres.

Etymologie et apparition du terme « Orange »

La couleur Orange, bien que répandue en peinture puis en teinture, n’a pas de vocabulaire particulier pour la désigner avant la fin du Moyen-Âge. Parfois jaune foncé, rouge lumineux, brun chaud ou beige saturé, il n’est pas évident de la nommer. Jusqu’au Moyen-Âge, on peut aussi l’appeler Safran, du nom de la plante tinctoriale.

La désignation de cette teinte arrive avec l’introduction du fruit du même nom par les peuples arabes et perses dans le courant du XIe siècle. Le mot orange viendrait donc du perse narang désignant le fruit dans un premier temps, puis la couleur à partir du XVIe siècle. Il est d’ailleurs, la seule couleur à porter un nom de fruit et non un terme à part entière. Aujourd’hui, certains grands auteurs de la couleur, tels que Michel Pastoureau, préfèrent donc parler d’« Orangé » pour distinguer la couleur du fruit.

Une mauvaise couleur de cheveux

L’Orange est très critiqué lorsqu’il vient teinter une chevelure et ce dès l’Antiquité. Aristote écrit : « La couleur rousse est une espèce d’infirmité du poil, et tout ce qui est faible vieillit plus vite ». Marque d’une défaillance, elle témoignerait aussi de la fourberie de ceux qui l’arborent. Au IIIe siècle, un Traité de la Physiognomonie associe les personnes rousses au renard et leur octroie ses traits de caractère : rusé et fourbe.

Outre la ruse, le Roux est aussi la couleur de la Luxure. En 1254 parait La Grande Ordonnance pour la Réforme du Royaume sous Louis IX. Dans cet ouvrage, les prostituées sont appelées à se teindre les cheveux en roux pour se distinguer des femmes respectables. Ce cliché de la femme rousse aux mauvaises mœurs aura la dent dure et traversera les siècles. A la fin du XIXe siècle, Zola associera dans son roman Nana, la rousseur de son personnage à ses actes de prostitution.

Dans le courant du Moyen-Âge, le Christianisme s’empare du mauvais côté de la couleur Orange pour en faire celle du Diable. En 1486, un traité nommé Malleus Maleficarum (Marteau des Sorcières) accuse les femmes rousses de pactiser avec le Diable. Pire, les tâches de rousseurs seraient la preuve de relations sexuelles avec le celui-ci. Par extension, l’Orange devient la couleur des sorcières qu’il faut chasser et tuer. Un grand nombre de femmes rousses mourra sur le bucher pour cette raison.

Les chevelures orange sont alors considérées comme un signe de vice, le symbole des traitres : Juda sera alors représenté avec une chevelure rousse, tout comme d’autres traitres tels que Caïn ou Dalila. Et s’il porte un vêtement jaune, c’est le summum de la traitrise. Au XVe siècle, un traité de blason indiquera que l’Orange est la plus laide des couleurs.

Une couleur inexistante ?

Dans l’Antiquité, l’Orange est très répandu dans les peintures ou les mosaïques. Pourtant, lorsqu’Aristote instaure une première répartition des couleurs, il ne fait pas état d’une couleur Orange. Grand observateur de la nature et notamment des levers et coucher du soleil, il distingue 7 couleurs : Blanc, Jaune, Rouge, Violet, Vert, Bleu et Noir. Pas de Orange. Même si aujourd’hui, nous nous accorderions facilement sur la présence de couleurs orangées dans le ciel lors des couchers de soleil…

Au XVe siècle, les Réformes Protestantes classent les couleurs en deux catégories : les couleurs honnêtes et déshonnêtes. Encore une fois, l’Orange n’est pas mentionné. On peut toutefois imaginer qu’à l’instar du Jaune et le Rouge, il aurait été placé dans le groupe des couleurs déshonnêtes pour sa trop grande visibilité. Cette absence de l’Orange dans les différentes classifications au fil de l’Histoire s’explique certainement par le manque de vocabulaire le désignant. S’il n’a pas de nom, il ne peut exister.

C’est au XVIIe siècle que l’Orange trouve sa place, grâce aux découvertes de Newton. Avec l’élaboration de son cercle chromatique, il confère à l’Orange un véritable rôle dans l’équilibre des couleurs : celui d’une couleur secondaire, au même titre que le Vert et le Violet. Il est aussi admis que l’Orange est la couleur complémentaire du Bleu, mettant ainsi en valeur la couleur la plus appréciée de toutes.

Également acteur de la revalorisation de l’Orange, Goethe écrit dans son Traité des Couleurs : « Elle représente la couleur de l’ardeur extrême ainsi que le reflet le plus doux du soleil couchant. Raison pour laquelle elle se révèle agréable dans le décor ou sous forme de vêtements. » Une renaissance pour cette couleur longtemps oubliée ou rejetée.

Et aujourd’hui ?

Au cours de mes recherches, j’ai été surprise d’apprendre qu’il existait une journée mondiale des Roux, le 12 janvier, mais encore plus surprise d’en apprendre l’origine. Suite à la diffusion d’un épisode de la série South Park, un abruti décide d’ouvrir un groupe Facebook en 2008 : Kick a Ginger Day. Cet appel à « tabasser un Roux » engendrera des centaines d’agressions. En réponse à cela, le canadien Derek Forgie lance cette journée pour lutter contre les discriminations envers les personnes rousses. Il est donc désolant de constater qu’il demeure encore des idées reçues issues de l’Antiquité pouvant aboutir à une telle violence.

Côté couleur, l’Orange est aujourd’hui plutôt bien accueilli tant il représente la joie de vivre et le dynamisme malgré un côté un peu kitch parfois… Mais ça, je vous en parlerai dans le prochain article sur la signification de cette couleur !

Image de Lise-Pauline Henry

Lise-Pauline Henry

Fondatrice de l’agence d’architecture d’intérieur et de décoration Tadaima Concept, je suis diplômée d’Etat en Architecture et titulaire d’une Maitrise en Arts Plastiques. Créative pure souche, j’aime dessiner, coudre, jardiner, bricoler, voyager… m’inspirer de ce qui m’entoure pour enrichir mes projets et partager avec vous tous mes secrets !

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