#1 Le Vert : Son Histoire

Aujourd’hui, j’entame une nouvelle série d’articles sur l’analyse des couleurs. Après avoir traité les couleurs dites « primaires », le Bleu, le Rouge et le Jaune, j’ouvre une nouvelle session sur les couleurs dites « secondaires » ou « complémentaires ». Je vous propose de commencer par le Vert, qui est la deuxième couleur préférée des européens, et la mienne soit dit en passant, loin derrière le bleu tout de même. Les sondages réalisés depuis le milieu du XVIIIe siècle n’ont que très peu évolué : 15 % des personnes placent le Vert en première position. Mais les résultats révèlent un pourcentage égal de personnes qui adorent cette couleur, et de personnes qui la détestent. Tout comme les trois précédentes couleurs traitées, le Vert aussi a des bons et des mauvais aspects, héritages des temps anciens. Pour bien comprendre les symboliques attribuées à cette couleur aujourd’hui, je vous propose donc de revenir en arrière et de parler un peu d’Histoire.

A l’origine, le Vert est une couleur plutôt délaissée. L’époque Paléolithique n’aura laissée aucune trace de celle-ci sur les murs des grottes. Dans l’Antiquité, le Vert se fait rare, tout comme le Bleu, notamment dans les territoires occidentaux. Les grands philosophes tels que Pline ou Vitruve ne l’évoquent jamais dans leurs écrits, si bien que certains scientifiques se sont demandé si cette couleur était visible pour l’œil des Hommes à cette époque. Les seules marques de sa présence sont trouvées dans les mosaïques, sous différentes nuances tout de même malgré le peu de vocabulaire pour les désigner. Il faut savoir que les Romains représentent beaucoup le monde aquatique dans leurs mosaïques et qu’à cette époque, la couleur verte était utilisée pour représenter l’eau. Il faudra attendre la fin du Moyen-Age pour que l’eau commence à être représentée par la couleur Bleu.

Jusqu’alors extrêmement discret, le Vert connait un essor important à partir du XIe siècle. Il devient la couleur dominante des vêtements, surtout chez les Hommes (le Rouge étant la couleur des Femme). Au XIIe siècle, il sera aussi très abondant dans les Enluminures. Toutefois, le Vert est une couleur qu’il est difficile de fixer. Les Pigments verts, bien que faciles à fabriquer, sont instables et peu fiables. Par extension, on finira par reprocher cette instabilité à la couleur en elle-même.

Il existe à l’époque 4 types des pigments verts : La Malachite est un produit issu du broyage de la pierre semi-précieuse du même nom. C’est un pigment très couteux mais très stable. Les Terres Vertes sont des pigments moins chers et encore relativement stables, mais sont peu couvrants. Ils se trouvent naturellement dans les terres de la région de Vérone.

Le Vert de Gris, quant à lui, est obtenu à partir de Cuivre oxydé avec un liquide acide tel que le vinaigre ou… l’urine. C’est un pigment très instable et surtout très toxique. Il attaque le support et détériore certains autres pigments. A partir des années 1760, de nouvelles techniques permettent d’accélérer l’extraction du cuivre et ouvrent la voie aux Verts contenant de l’arsenic (dérivé du cuivre). Ces pigments verts sont très bon marché et donc très répandus, mais aussi très toxiques pour l’Homme. Ils seront pourtant utilisés pour fabriquer des vêtements, des tapisseries, ou même pour colorer des jouets d’enfants ou certaines préparations culinaires. Les effets secondaires de cette utilisation ne tarderont pas ! Ces pigments seraient même à l’origine du décès de Napoléon, dont le corps révèlera des traces d’arsenic, sans pour autant avoir la preuve d’un empoissonnement volontaire… 

Derniers pigments utilisés, les Verts Végétaux extraits par exemple du jus de poireau, de l’ortie ou de la fougère. Ces Verts sont très pâles et nécessitent un soin particulier pour les conserver. Ils sont ainsi stockés dans des vessies de Porc, solides et bien hermétiques. Ils seront alors nommés les Verts de Vessie, aujourd’hui bien connus des aquarellistes entre autres.

Si aujourd’hui, il est bien connu que le Vert peut également s’obtenir en mélangeant du Bleu et du Jaune, ce n’est pas si simple à l’époque. Cette pratique n’est absolument pas développée chez les peintres et est surtout interdite aux teinturiers. En effet, il existe 2 types de teinturiers : ceux qui ont une licence pour teindre en Rouge, Jaune et Blanc, et ceux qui ont une licence pour teindre en Bleu, Vert et Noir. Il est donc peu probable que les pigments Bleu et Jaune se retrouvent au même endroit, même si certains s’y essaierons illégalement.

Durant le Moyen-Age, la couleur verte est donc associée à l’idée d’instabilité et donc à tout ce qui est changeant : la jeunesse, la chance, la fortune, le hasard, le jeu… C’est une couleur qui n’inspire donc pas confiance. Le Christianisme, étant à l’origine de nombreuses symboliques des couleurs, désignera le Vert comme la couleur du Diable et de ses créatures étranges, monstrueuses, dangereuses (dragons, serpents, grenouilles…). Par extension, il sera la couleur associée à la sorcellerie, au fantastique, à l’étrangeté. Les petits hommes verts désignant les martiens trouvent donc leur héritage dans ces représentations des êtres étranges avec la couleur verte.

Dans ses meilleurs aspects, le vert sera considéré comme la couleur de l’Amour naissant et de l’Espérance. De fait, il sera la couleur des femmes enceintes. Dans les palais, les jeunes couples sont installés dans la chambre verte pour favoriser leur fertilité et augmenter leur chance d’offrir un héritier.

IMAGE 8 - EPOUX

Le XVIIIe siècle voit naître de nouvelles théories sur le classement des couleurs. C’est à cette époque qu’apparaissent les premiers traités évoquant le mélange Bleu-Jaune pour créer du Vert. Une théorie confirmée par Newton et la découverte de la diffraction de la lumière. Le spectre des couleurs place alors le Vert entre le Bleu et le Jaune dans ce nouveau classement officiel. Cette découverte semble régler le problème des pigments verts soit trop chers, soit trop dangereux. Toutefois, certains peintres se refusent à cette pratique, la considérant indigne des plus Grands.

De grandes inventions marquent le XIXe siècle. L’apparition du tube d’étain, l’invention du bouchon à vis et le développement des chemins de fer favorisent les déplacements des artistes qui s’adonnent de plus à plus à la peinture de plein air. De fait, le Vert est prédominant dans les tableaux puisqu’il représente la nature telle qu’elle nous apparait. Mais dès la moitié du XIXe siècle, de nouvelles théories bouleversent le statut du Vert dans le monde des Beaux-Arts, notamment celle des couleurs primaires et secondaires. Le Vert, couleur secondaire, est donc par définition placé au second rang, dernière des couleurs considérées comme plus nobles.

Au début du XXe siècle, certains peintres adoptent la technique du mélange optique, qui consiste à ne plus utiliser de Vert, puisque l’œil serait capable de faire des mélanges tout seul. La juxtaposition de petites touches de Jaune et de Bleu permet de « fabriquer visuellement » du Vert, sans utiliser ni de pigment vert, ni de mélange à proprement parler. Le Vert est alors relayé au second plan, réputé sans intérêt. Kandinsky écrira même « Le vert […] n’a aucune consonnance de joie, de tristesse ou de passion ».

Parallèlement, le Vert devient la couleur du monde médical, médicinal, puis plus largement de la science et du savoir. Le développement de l’ère industrielle au XIXe siècle provoque également une envie de verdure grandissante. L’attrait de la nature devient de plus en plus fort, notamment en Grande-Bretagne et en France, pays qui multiplient les projets d’aménagements urbains intégrant du « vert » : Parcs, jardins, coulées vertes, cités-jardins. Cette association du vert et du bien-être sera confortée au cours du XXe siècle. Mais ça, nous le verrons dans le prochain article sur la symbolique du Vert !

Bibliographie :

  • Conférence « Les peintres et la couleur verte au fil des siècles » – Michel PASTOUREAU – Musée des Impressionnistes de Giverny – 12/05/2022
  • Emission « Des goûts et des couleurs » avec Michel PASTOUREAU – Radio France – 26/12/2013
Image de Lise-Pauline Henry

Lise-Pauline Henry

Fondatrice de l’agence d’architecture d’intérieur et de décoration Tadaima Concept, je suis diplômée d’Etat en Architecture et titulaire d’une Maitrise en Arts Plastiques. Créative pure souche, j’aime dessiner, coudre, jardiner, bricoler, voyager… m’inspirer de ce qui m’entoure pour enrichir mes projets et partager avec vous tous mes secrets !

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