Aujourd’hui, pas question de broyer du noir, même si le Noir est la star des 3 prochains articles. S’il va avec tout, il n’est pas pour autant une couleur que l’on adore, ni que l’on déteste. Dans les sondages cherchant à définir les couleurs préférées des européens, il se situe au milieu. Comme pour les autres couleurs, il fonctionne sur une dualité : à la fois triste et mélancolique, il est aussi marque de puissance et d’une grande élégance. Dans l’histoire, le Noir est commencement autant qu’il est fin. Nous allons voir ensemble comment s’articulent toutes ses facettes au fil des siècles.
Dans les grottes préhistoriques, le Noir est une des couleurs les plus représentées avec le Rouge et l’Ocre (plus ou moins orangé ou jaune). Les pigments noirs sont fabriqués à partir de charbon de bois ou d’os, broyés puis appliqués sur les parois des grottes selon différentes techniques : utilisation des mains ou des doigts, projections avec la bouche ou utilisation d’outils (pinceaux, pochoirs). Les méthodes sont nombreuses. Mais sa forte présence nous révèle qu’il était plutôt aisé d’en obtenir, une fois le feu maitrisé bien sûr, et qu’il était relativement résistant au temps.
D’un point de vue plus intellectuel, sur le plan religieux ou purement scientifique, au commencement, il y a du Noir. Avant la Genèse ou le Bing Bang, il n’y a point de lumière mais uniquement du Noir. Et une fois n’est pas coutume, cela met tout le monde d’accord. Pour les uns et les autres, le Noir existe donc bien avant la création de la vie sur terre. A partir de là, deux théories en découlent. D’une part, il est une couleur créative, une origine de laquelle éclos la vie. En Égypte ancienne, il est une marque de fécondité, de fertilité. Il est un Noir créateur.
Mais d’un autre côté, le Noir n’est que Ténèbres, puisqu’il n’abrite aucune vie ni lumière. Une théorie qui se développera plutôt au Moyen-Âge, période de l’Histoire qui met à mal la symbolique des couleurs. Le Noir ne fait pas exception. Il est rapidement associé aux Ténèbres, aux Enfers et donc au Diable. Par extension, les animaux noirs sont alors porteurs de mauvaise augure : le corbeau ou le chat par exemple. Il est un Noir dangereux.
En teinturerie, le Noir n’est pas évident à fabriquer. On utilise de l’Ivoire broyé ou des Sarments broyés (Noir de Vigne). Mais les pigments sont chers et ne tiennent que temporairement sur les tissus. On teint surtout de petites surfaces car la technique n’est pas encore maitrisée contrairement à la couleur Rouge, que l’on fabrique très tôt très bien. En peinture, le problème est assez similaire. On fabrique des bruns sombres, des gris foncés, des bleus et des violets profonds mais le Noir pur naitra avec les découvertes des colorants industriels.
A la fin du Moyen-Âge, la couleur Noir se voit revalorisée et devenant la couleur de l’autorité et la dignité au XIVe siècle, puis celle du luxe au XVe siècle. A la fin du XIVe siècle, seule la Haute Aristocratie est autorisée à se vêtir de Noir. Une interdiction qui ne sera pas respectée par les classes bourgeoises, elles aussi désireuses de porter ce Noir si élégant et valorisant. Cet engouement pour la mode en Noir pousse les teinturiers à faire de rapides progrès dans la fabrication de belles étoffes noires. Cette mode des beaux noirs se développe ainsi rapidement dans les Cours d’Italie, de France puis d’Angleterre mais inonde aussi la classe bourgeoise jusqu’au XVIIe siècle.
Entre temps, au cours du XVIe siècle, les Grandes Réformes Protestantes rompent définitivement avec l’Eglise médiévale et classent le Noir dans la catégorie des couleurs honnêtes (s’opposant aux couleurs déshonnêtes, les couleurs les plus vives). Le Noir est officiellement désigné comme une couleur il est de bon ton de porter.
Considéré comme le siècle Noir, le XVIIe siècle est une période difficile sur le plan social, moral et symbolique. Le climat se dégrade, il fait de plus en plus froid. L’espérance de vie baisse fortement. Le moral de la population décline, les temps sont durs. Le Noir renoue ainsi avec son côté sombre, accompagnant cette société morose. Malgré cela, la mode des souverains reste au Noir et le nouvel Ordre religieux en fait de même. Le Noir affirme de fait son côté luxueux et puissant.
RIGAUD Hyacinthe, Philippe V, roi d’Espagne, vers 1700
Au XVIIIe siècle, tout change. Le siècle des Lumières est aussi celui des couleurs. On délaisse les couleurs sombres et lourdes du siècle précédent pour des tons plus joyeux. Les classes moyennes ont de plus en plus accès à des étoffes de couleurs vives. Les habitations voient également s’agrandir leurs ouvertures (portes et fenêtres), ce qui permet d’y voir plus clair ! La vie est littéralement plus colorée et plus lumineuse. La mode du Noir est en net recul. Bien sûr, il n’est pas question que les classes bourgeoises et aristocratiques suivent les codes vestimentaires du petit peuple. Tout en s’accordant sur le fait de délaisser le Noir, ils prennent le contre-pied de ces vêtements aux couleurs saturées en optant pour des teintes pastels. De plus, l’intérêt grandissant pour les temps antiques incitera d’autant plus à préférer les couleurs sobres en dépit des couleurs vives considérées comme impures.
La Révolution Industrielle qui marque le XIXe siècle permet au Noir de refaire surface, notamment dans le vêtement masculin. Dans les classes ouvrières, la suie des usines de charbon tache les vêtements, il devient donc courant de s’habiller en Noir. Mais c’est aussi au cours du XIXe siècle que le Noir rencontre officiellement le monde de la Mode. A la fin du XIXe siècle, le costume noir (ou sombre) tel que nous le connaissons aujourd’hui est inventé par George Brummell, petit protégé du Prince de Galles de l’époque. Profitant du rayonnement de la famille royale, il introduit cette tendance en Angleterre, durant les guerres napoléoniennes puis partout en Europe. Père du Dandysme, il développera son concept de fashionable, le fait d’être élégant par la mode, avec du Noir bien sûr ! Comme vous le savez tous, c’est le début d’une grande histoire d’amour entre la Mode et la couleur Noire.
J’arrête là ce premier article sur l’Histoire de la couleur noire. Je n’ai pas abordé l’opposition Noir-Blanc mais si cela vous intéresse, je vous invite, si ce n’est pas déjà fait, à lire mon article sur la couleur blanche qui détaille cette thématique. Pour les autres, on se retrouve la semaine prochaine pour un nouvel article sur la symbolique du Noir.
Conférence Michel PASTOUREAU, Le noir à travers les âges, 02/11/2020, Radiofrance
www.pourpasunrond.fr/popularite-couleurs-associations/#Noir_-_le_luxe_puissant