Le Gris : Son Histoire

Rien de mieux que la météo maussade de ce début d’année pour écrire sur la couleur Grise. Vous le savez maintenant, nous commencerons par un peu d’Histoire pour démarrer comme il se doit cette nouvelle série d’articles. Pour nombre d’entre nous, lorsqu’on nous demande quelle est notre couleur préférée, nous évoquons rarement le Gris. L’inverse, est également vrai. Le trio des couleurs détestées reste le Rose, le Violet et le Brun. Le Gris, quant à lui, est un peu l’oublié de la palette. Il est comme inexistant. M’appuyant entre autres, sur les travaux de Michel Pastoureau, je vais tenter de décortiquer l’Histoire de la couleur Grise à travers les siècles.

 

La Préhistoire nous a laissé peu de dessins gris sur les parois des grottes. En effet, considérant aujourd’hui que le Gris est un mélange de Blanc et de Noir, nous observons plutôt des couleurs franches dans les grottes : Noir, Rouge, Jaune… Parfois, le Noir des fusains est estompé ce qui peut créer une sensation de Gris mais cette couleur n’est pas créée pour ce qu’elle est. Je ne peux donc pas considérer que l’Histoire du Gris débute si tôt. 

Dans l’Antiquité, le Gris ne trouve pas non plus sa place. En Grec ancien, il n’existe aucun mot pour le désigner. Il faudra attendre le Latin pour que le langage puisse traduire cette couleur. Les premiers termes sont utilisés pour décrire spécifiquement le Gris des pelages ou des plumages de certains animaux ou le Gris de quelques métaux. Plus tard, d’autres mots désigneront les yeux Gris-Bleu ou le Gris des cendres. Mais ils ne s’appliqueront jamais à la couleur Grise en elle-même. A l’époque, une couleur n’existe pas en soi mais demeure seulement un adjectif qualifiant un objet. De plus, le Gris n’est pas une couleur de premier plan. Cela se vérifie dans les premiers classements des couleurs, dans lesquels le Gris n’est pas évoqué. Se basant sur son observation des couleurs du ciel du lever au coucher du soleil, Aristote établit le classement suivant : Blanc, Jaune, Rouge, Violet, Vert, Bleu et Noir. Pas de Gris à l’horizon…

Source 

C’est au Moyen-Âge que le Gris devient une couleur à part entière. Le mot « Gris » apparaît vers les XIe et XIIe siècles sous l’influence du monde germanique. En effet, la qualité des teintures bleues, grises et vertes de cette zone géographique va impacter les langues latines. C’est ainsi que le « Grau » germanique donnera le « Griseus » latin.

Grande nouveauté de cette période, le Gris désigne, en plus de la couleur des animaux ou des cendres, la couleur des étoffes. Le savoir-faire des teinturiers germaniques se développe et la production de beaux tissus gris force l’admiration. Ses nuances sont variées et il est de bon ton de porter du Gris à certaines occasions. A partir de là, le Gris se voit intégré aux traités de blason, aux encyclopédies et même aux catalogues de marchands de draps.

A travers la question du vêtement, le Gris devient aussi la couleur de l’humilité, notamment celle des religieux franciscains vêtus de Gris. C’est en fait un vœu de pauvreté qui les conduira à opter pour une laine non teinte et non lavée. Cette étoffe grise leur vaudra leur nom de Frères Gris. Cette idée d’humilité sera reprise également chez les cisterciens qui créeront des vitraux sans couleur, des Verres Gris, pour signifier leurs valeurs morales.

Toutefois, il reste matériellement une couleur que l’ont décrit comme un mélange et non une couleur seule. Mais attention, le Gris n’est pas considéré comme le mélange de Noir et de Blanc à cette époque mais plutôt comme celui de toutes les couleurs entre elles. Si vous avez lu mon article sur le Rouge, vous le savez, le contraire du Blanc au Moyen-Âge, c’est bien le Rouge. Il n’est donc pas question de parler d’un intermédiaire entre le Blanc et le Noir qui serait le Gris puisque le Blanc et le Noir ne sont pas considérés comme des contraires.

Le XVe siècle voit peintres et savants s’associer pour établir un classement des couleurs et définir des couleurs de bas (Blanc, Jaune, Rouge, bleu et Noir). Ce schéma d’Athanase Kircher démontre cette position délicate du Gris, puisqu’il omet de le décrire comme le mélange du Noir (Niger à droite) et du Blanc (Albus à gauche). L’arc de cercle devant correspondre au Gris est le seul qui ne comporte pas de nom.

Au XVe siècle, le Gris est une couleur admirée et valorisée. Il comporte plus de bons aspects que de mauvais, là où toutes les autres couleurs ont une symbolique plus mitigée. Il est la couleur de l’espérance et devient même un signe de richesse dans les maisons princières qui se parent de leur plus belle vaisselle d’étain, délaissant celle en or. Le Gris est chic.

Dans cette même idée d’un Gris de grande valeur, les images grises sont considérées comme plus morales que les images polychromes. Au XVe siècle, certains documents font état d’une paye plus élevée pour les peintres capables de pratiquer la Grisaille, une technique de peinture uniquement réalisée à partir de différents niveaux de Gris. Une pratique qui restera courante durant plusieurs siècles.

Tout semble se dérouler au mieux pour la couleur Grise mais vous vous en doutez, cela ne durera pas. Un bouleversement historique majeur sera à l’origine de la dévalorisation du Gris : l’apparition de l’imprimerie au milieu du XVe siècle. Cette technique de l’encre noire posée sur papier blanc fait de ces deux couleurs, le couple de contraires que nous connaissons aujourd’hui. De fait, le Gris, déjà considéré comme un mélange d’autres couleurs, devient alors un intermédiaire entre le Noir et le Blanc.

Puis au XVIIe siècle, le classement des couleurs établi par Newton fera disparaitre le Gris de manière officielle, au même titre que le Noir et le Blanc, qui seront relayées au rang de simples valeurs. Durant ce siècle, les premiers dictionnaires et encyclopédies sont élaborés. En 1694, le Dictionnaire de l’Académie Française définit le Gris comme étant « de couleur mêlée plus ou moins de Blanc et de Noir ». Sa 9é édition décrira « couleur intermédiaire entre le Blanc et le Noir ». Fait étonnant puisque les autres couleurs issues de mélanges comme le Vert, le Violet ou le Orange n’auront pas ce type de définition.

Chez les peintres, l’intérêt porté au Gris traverse les époques. Depuis les peintres de la Grisaille, comme évoqué plus haut, plusieurs autres grands noms se succèdent dans le travail des nuances et variétés de Gris qui semblent infinies. Au XVIIIe siècle, Ingres, grand peintre et dessinateur de son temps, se voit parfois moqué pour son utilisation excessive du Gris. Certains de ses concurrents s’amuseront à remarquer que l’anagramme est « en gris ». Certaines études montreront même que l’artiste avait l’habitude d’appliquer une patine grisâtre sur ses tableaux. Plus tard, chez les Impressionnistes connus pour leur goût de la couleur, certains n’hésitent pas à travailler le Gris sous toutes ses coutures, comme Pissarro entre autres.

Au cours du XXe siècle, le développement de la photographie et du cinéma, donnera au Gris sa profondeur en explorant le rapport entre l’ombre et cette couleur ainsi que toutes ses nuances entre le Noir et le Blanc. Par la suite, le développement de l’informatique participera également de la revalorisation du Gris, qui sera perçu comme connecté au savoir et à la science par le biais de notre fameuse matière grise.

La semaine prochaine, nous continuerons avec le thème du Gris pour aborder ses significations. J’espère que cet article vous aura plu. N’hésitez pas à me laisser un commentaire ou échanger avec moi sur le sujet.

Bibliographie :
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Lise-Pauline Henry

Fondatrice de l’agence d’architecture d’intérieur et de décoration Tadaima Concept, je suis diplômée d’Etat en Architecture et titulaire d’une Maitrise en Arts Plastiques. Créative pure souche, j’aime dessiner, coudre, jardiner, bricoler, voyager… m’inspirer de ce qui m’entoure pour enrichir mes projets et partager avec vous tous mes secrets !

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