#1 Le Violet : Son Histoire

Après le Vert et l’Orange, j’aborde dans cet article l’Histoire de la dernière teinte du groupe des couleurs dites « secondaires » : le Violet. Mélange de Bleu et de Rouge, cette couleur est peu présente à l’état naturel, au-delà de quelques fleurs et de pierres précieuses. Considérée comme une couleur froide, elle se trouve en fait dans un entre-deux, selon la proportion de Rouge et de Bleu qu’elle contient. Contrairement à toutes les autres couleurs, le Violet n’a finalement pas eu un passé difficile. Bien au contraire, il fut longtemps la couleur des privilégiés. Aujourd’hui, il est autant apprécié que détesté mais reste dans l’inconscient collectif, une couleur liée au luxe et dans une moindre mesure, au divertissement. Voici son histoire :

Préhistoire

Bien que le Rouge, le Noir et le Blanc soient les couleurs les plus répandues sur les parois rocheuses des grottes préhistoriques, la couleur violette aurait parfois été utilisée dès l’époque néolithique. Créée à l’aide de bâtons de poudre de manganèse et d’hématite, la teinte produite est un Violet foncé, proche du Noir. Des dessins sont visibles en France, notamment dans la grotte de Pech Merle ou dans celle de Lascaux. Déjà les Hommes étaient capables de mélanges pour créer de nombreuses variétés de teintes.

Antiquité

Dans l’Antiquité, le Violet est une couleur réservée aux hautes sphères de la société. Les pigments ont un coût extrêmement élevé, car laborieux à produire. Nous l’avions déjà évoqué dans l’article sur l’Histoire du Rouge : le composant principal pour créer un pigment rouge violacé était un coquillage de la famille des Murex, très présent dans le bassin Méditerranéen. Selon certaines sources, la zone géographique de récolte pourrait impacter la teinte finale, tirant soit vers le Rouge, soit vers le Bleu. Pour vous donner une idée des quantités nécessaires, notez qu’environ 12000 spécimens délivrent 1.5 grammes de teinture, soit suffisamment pour colorer un petit mouchoir. Imaginez la quantité nécessaire pour une toge entière.

Après avoir ôté la coquille des Murex, la glande responsable de la coloration violette est retirée puis broyée. Les plus petits spécimens sont broyés avec leurs coquilles. La substance translucide obtenue est ensuite placée à la fermentation au sel. Enfin, les tissus à teindre sont disposés dans un bain contenant le pigment préalablement extrait. Plus le bain est long, plus la teinture est Rouge. A l’inverse, un bain plus court produit une teinte bleutée. Les premiers grands producteurs et marchands de ce pigment furent les Phéniciens, notamment depuis la ville de Tyr (actuel Liban), d’où le nom attribué au pigment : la Pourpre Tyrian.

Cette technique de fabrication longue et fastidieuse en faisait un pigment luxueux, puisque cher et relativement rare. Il n’en faut pas davantage pour que le Violet soit réservé à l’élite. D’autant plus que cette colorisation des tissus était chatoyante et durable, d’une grande qualité donc. Porter une tope Pourpre est une véritable marque de richesse et de pouvoir. Plus la toge est colorée, plus elle marque le rang social élevée de celui qui la porte. A tel point que la vente de drap violet à d’autres personnes que des Empereurs pouvait être sanctionnée par la peine de mort. De même pour ceux qui aurait tenté de produire des teintures contrefaites à base de mélanges !

Moyen-Âge

Au Moyen-Âge, l’engouement pour la Pourpre Tyrian ne cesse de croître, demeurant l’attribut des plus grands. Charlemagne se fera ainsi couronner dans un manteau de Pourpre Tyrian (presque Rouge) et sera enterré dans un linceul de cette même couleur. Les futurs Rois et Empereurs sont mis au monde dans des chambres Pourpre, comme pour les accompagner dès leur premier cri dans une vie de pouvoir et de luxe.

Le monde chrétien a également son rôle dans l’Histoire du Violet qui, soit dit en passant, n’est toujours pas nommé ainsi à l’époque mais ne le sera qu’un cours du XVIe siècle. Le Mauve est désigné comme symbole de pénitence par le Pape Innocent III et est attribué au Clergé durant les périodes de jeûne, mais aussi aux Evêques. Dans le cas de ces derniers, le Violet met en scène leur pouvoir au même titre que les chefs d’Etat, mais devient également un symbole du lien entre l’Homme et le Saint-Esprit. Plus tard, un décret désignera le Violet comme étant la couleur officielle de la cour papale.

Vers le milieu du XVe siècle, la Pourpre Tyrian est peu à peu mise de côté, notamment après la chute de Constantinople aux Turcs ottomans en 1453. Le pigment devient alors moins disponible. Les Empereurs délaissent petit à petit cette couleur même s’ils peuvent en porter occasionnellement. Elle reste la couleur privilégiée des Rois, notamment lorsqu’ils sont en deuil. Ils peuvent alors s’affranchir du Noir dans une sorte de demi-deuil ou d’un deuil atténué par le temps. Elle sera pour cela associée au sentiment de tristesse. Le Violet n’est pas très courant dans l’habillement du peuple, toujours pour des raisons de coût et de rareté. Toutefois, certains tissus sont teintés d’un mélange d’indigo et de rouge cochenille.

C’est également à cette époque, que naissent les Grandes Universités de France. La première date du XIIe siècle et est constituée à Paris, puis d’autres villes suivront dont Toulouse au XIIIe siècle, Bordeaux au XVe siècle ou Strasbourg au XVIe siècle. Quel rapport avec le Violet me direz-vous ? Et bien figurez-vous que le Violet sera attribué aux recteurs et aux inspecteurs d’Académie de ces universités ainsi qu’aux étudiants en Théologie. Là encore, le Violet est signe de pouvoir et de supériorité mais aussi de foi chrétienne.

XIXe siècle

Le XIXe siècle marque un tournant important dans l’Histoire du Violet. En 1856, le chimiste anglais William Henry Perkins, alors âgé de 18 ans, découvre un procédé de synthèse du pigment Violet, alors qu’il cherchait un traitement contre le Paludisme. Le Violet Allyl Toluidin, ou Mauvéine, prend vie lorsque le jeune Billy remarque cette jolie teinte tâchant le sol et ses vêtements :

« J’obtins vite un splendide précipité rouge brun. Bien sûr, ce composé n’avait rien à voir avec la quinine artificielle que je recherchais, mais il éveilla ma curiosité de chimiste, car ayant renversé une petite éprouvette, je vis qu’il produisait sur le parquet et sur ma blouse des tâches certes de belle couleur, mais surtout indélébiles. Sans le savoir je venais d’inventer ce colorant de bonne tenue dont l’industrie textile avait tant besoin ».

C’est ainsi que le Violet se popularise puisqu’il devient facile à fabriquer, donc très abordable et ainsi accessible au plus grand nombre. Malgré de nombreuses tentatives de contrefaçons en Europe, Billy connait un immense succès. Il est mis à l’honneur pour sa découverte lors de l’Exposition Universelle de 1862 à Londres, au cours de laquelle la Reine Victoria en personne apparait en robe de soi violette. Le Violet sera d’ailleurs très pratiqué par la famille royale de Grande-Bretagne.

Si la découverte bouleverse l’industrie textile, il en est de même pour le monde artistique. L’engouement des peintres pour cette couleur est tel qu’ils sont rapidement accusés d’en perdre la tête. Une forme d’hystérie qui sera qualifiée de « violettomanie ». Pour eux, c’est une révélation, le Violet est la solution à tous leurs problèmes de représentation, ce que le Noir ne leur permettait pas d’accomplir. Précurseur du mouvement impressionniste, Monet explique :

« J’ai enfin découvert la vraie couleur de l’atmosphère. C’est violet. L’air frais est violet. »

Pour grands nombres de peintres et de poètes de l’époque, le violet symbolise l’équilibre fragile entre le jour et la nuit, le réel et l’au-delà, l’instant même où la lumière disparait. Par extension, il sera associé au monde ésotérique et aux phénomènes mystérieux.

XXe siècle

Dès la fin du XIXe siècle, puis au début du XXe siècle, le Violet devient, avec le Blanc et le Vert, la couleur des revendications féministes, de ces femmes qui ont défendu avec courage leur (notre) droit de vote. Le choix des couleurs est expliqué par Emmeline Pethick-Lawrence, membre fondateur du mouvement des Suffragettes en Angleterre :

“Le violet en couleur dominante symbolise le sang royal, qui coule dans les veines de chaque femme luttant pour le droit de vote, la conscience de la liberté et de la dignité. Le blanc symbolise l’honorabilité dans la sphère privée et politique ; enfin, le vert, l’espoir d’un nouveau commencement.”

Le Violet demeure par la suite une couleur féministe, entre le Bleu-Garçons et le Rose-Filles (cliché imposé par les commerciaux) comme une manière de dénoncer les inégalités Hommes-Femmes et de rassembler les deux genres par la couleur.

Les artistes des Sixties s’approprient à leur tour cette couleur, dans une idéologie plus décalée encore que celle des artistes de la fin du XIXe siècle. Omniprésent dans les œuvres du mouvement Pop-Art, le Violet apparait de manière récurrente chez Andy Warhol ou Isabelle Collin Dufresne, plasticienne muse de ce dernier. D’ailleurs, elle se re-baptisera Ultra-Violet et se teindra les cheveux de cette couleur en signe de rébellion contre son éducation religieuse, entre autres…

Dans les années 1960 puis 1970, le Violet est plus que jamais le symbole de la contre-culture. Il est la couleur profonde et intense d’une génération de jeunes rebelles, affirmant leur liberté sur fond de substances illicites et de délires psychédéliques. Le Violet inspire les musiciens qui n’hésitent pas à y faire référence, comme de Jimi Hendrix avec sa chanson Purple Haze (1967), ou à travers la création du groupe Deep Purple (1968).

Allez, je m’arrête là pour ce premier article de la série sur le Violet. Je vous l’accorde il est un petit peu long, et je félicite ceux qui en sont venus à bout ! Personnellement, je trouve l’Histoire du Violet passionnante tout comme celles des autres couleurs que vous pouvez retrouver ICI. N’hésitez pas à me laisser un commentaire pour me donner votre avis ou simplement me dire si vous avez appris des choses ! Dans le prochain article, je parlerai de la signification du Violet aujourd’hui.

Image de Lise-Pauline Henry

Lise-Pauline Henry

Fondatrice de l’agence d’architecture d’intérieur et de décoration Tadaima Concept, je suis diplômée d’Etat en Architecture et titulaire d’une Maitrise en Arts Plastiques. Créative pure souche, j’aime dessiner, coudre, jardiner, bricoler, voyager… m’inspirer de ce qui m’entoure pour enrichir mes projets et partager avec vous tous mes secrets !

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