Après avoir traité de la couleur Grise et son côté parfois maussade et déprimant, nous allons enchaîner sur une couleur qui donne davantage de pep’s. J’ai nommé : la couleur Rose ! Continuons les bonnes habitudes avec un article sur son Histoire. Considérée comme une couleur de second plan, elle connait un passé moins riche que celle d’autres couleurs, telles que le Bleu ou le Rouge entre autres. Aujourd’hui, on associe facilement le Rose à la féminité et plus précisément à l’univers des petites filles, par opposition au Bleu des garçons. Mais ce n’a pas toujours été le cas et ce phénomène est même plutôt récent. Alors regardons tout cela de plus près.
Grande absente des classements des couleurs élaborés dans l’Antiquité, le Rose ne semble pas exister. Il n’y a pas de mot pour le désigner, ni en Grec, ni en Latin, ni dans les langues vernaculaires. On parle uniquement d’une « pâle couleur » ou d’un « incarnât », une teinte s’approchant de celle de la carnation. A l’époque, on a étonnement tendance à associer les tons rosés à la gamme des Jaunes, tel un « jaune pâle ». Le Rose n’est alors pas considéré comme un mélange Rouge et de Blanc tel que nous l’appréhendons aujourd’hui.
Le Rose semble relativement présent dans la nature. Le ciel peut arborer des teintes rosées au coucher du soleil, certaines fleurs sont également roses et nous associons aussi la couleur Rose à quelques animaux. Et pourtant, alors que nous considérons comme acquis que les petits cochons sont roses, sachez que l’espèce évolue pour ne prendre cette couleur qu’après le XVIIe siècle. Avant cela, la majorité des cochons sont plutôt bruns. De même pour les fleurs : l’apparition des roses de couleur Rose date du XVIIIe siècle, avec les progrès de l’horticulture. Ce sont les Anglais qui mettent au point cette couleur de fleur. Avant cela, les roses Rouges et Blanches étaient les plus courantes et les plus admirées et ce, depuis l’Antiquité. La couleur Rose sur la fleur de rosier fera l’unanimité. C’est ainsi que la fleur donnera son nom à la couleur.
Dès la fin du XIVe siècle, le Rose commence à faire son apparition dans les enluminures. Les techniques de fabrication de pigments roses sont connues et maitrisées, mais la matière première est rare et chère. Comme pour le Rouge, on utilise le pigment issu du Bois-Brésil, ou Bois de Pernambouc, qui est, comme son nom l’indique, un bois importé du continent américain du Sud. Ce pigment est utilisé autant en peinture qu’en teinture. Et si jusqu’alors, il était exploité pour créer des Rouges, il permet par la suite de produire de beaux Orangés et des Roses de qualité. Toutefois, ce pigment est peu résistant. Pour cela, on le réserve aux petites surfaces telles que les enluminures. Très appréciée, la couleur Rose devient la couleur associée à la peau et donc à la nudité, sans pour autant être attachée à un quelconque mauvais aspect comme la luxure.
Au XVIe siècle, Venise devient la capitale européenne de la couleur. Son port reçoit la grande majorité des matériaux colorants importés. Grande ville de teinturiers, elle favorise le travail de la couleur là où Florence prône plutôt la primauté du dessin. De nombreux traités sur les couleurs sont mis au point et avec eux, une nouvelle manière d’aborder la question voit le jour : l’idée qu’une belle couleur soit une couleur qui plait à l’œil. Si cela peut nous paraître évident, il faut savoir qu’à l’époque, l’usage d’une couleur se devait d’être convenable, s’adapter aux bonnes mœurs, et non participer d’un ensemble esthétique. Alors disserter sur la beauté d’une couleur est un phénomène assez nouveau. Dès les années 1520/1530, le Rose est désigné comme la plus belle des couleurs dans de nombreux écrits. Tout le monde s’accorde également sur le fait que la plus belle association de couleur est le Rose et le Vert Amande. Toutefois, notons que cet engouement pour les couleurs est réservé à la société catholique de l’époque. Au contraire, le monde protestant fait plutôt la chasse aux couleurs voyantes, dites « déshonnêtes » par opposition aux couleurs honnêtes.
De manière générale, le Rose est à la mode. On le retrouve de manière récurrente dans le milieu des cosmétiques qui emploie le Cinabre, un dérivé du Mercure. Malgré sa toxicité avérée, l’application de ce Rose sur la peau est très répandue. La beauté passe alors devant le risque de mourir.
Côté vestimentaire, le Rose est également très courant autant chez les Hommes que chez les Femmes. Bon nombre de Rois sont représentés portant du Rose, presque comme une marque de virilité et de pouvoir. Pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les progrès de la chimie des colorants permet aux classes moyennes d’accéder plus facilement aux couleurs vives, dont les pigments deviennent abordables. Par opposition, les plus riches préfèrent alors se tourner vers des tons pastel : du Rose entre autres. L’idée reste de se démarquer des plus modestes par la couleur.
Vous l’aurez compris, le Rose est une couleur que l’on apprécie. Pourtant au XVIIIe siècle, lorsque Newton développe sa Théorie de la Couleur, il ne mentionne pas le Rose. Ses découvertes majeures sur la diffraction de la lumière blanche auront alors raison de la place du Rose dans le fameux classement qui deviendra celui que nous utilisons encore aujourd’hui. Le Rose n’a pas sa place. Il est relayé au second rang avec le Brun entre autres. On lui préfèrera même une couleur Indigo, qui reste malgré tout une nuance de Bleu ou de Violet plutôt qu’une véritable couleur.
Au XIXe siècle, les peintres sortent peu à peu de leur atelier pour aller peindre en extérieur. Un phénomène rendu possible grâce à l’invention du tube en étain et du bouchon à vis qui leur permet d’emmener leur peinture partout sans qu’elle ne sèche. Le Rose fait partie intégrante des palettes d’aquarelle et existe également en couleur prêt à l’emploi dans les tubes. Cette couleur est très utilisée chez les peintres Impressionnistes tout d’abord, puis dans beaucoup d’autres courant artistiques de la fin du XIXe et du XXe siècle jusqu’aux artistes d’art contemporain. Pour n’en citer que certains : Monet, Signac ou Picasso.
Le XXe est témoin de l’essor du Rose, non plus comme une couleur qui plait au plus grand nombre mais comme une teinte genrée, associée à la féminité et surtout, en opposition totale avec la masculinité et la virilité. Cet aspect du Rose commence à naître en Angleterre au début du XXe siècle, pour se développer petit à petit. Durant la Seconde Guerre Mondiale, il teinte tristement des triangles de tissu, désignant des hommes homosexuels, principe similaire aux étoiles jaunes désignaient les personnes de confession juives.
Dans les années 1950 et 1960, les icones du cinéma se l’approprient : robe vichy côté Bardot et shocking pink dress côté Monroe. Puis dès 1959, la société Mattel commercialise la fameuse poupée Barbie. Devenant le symbole même du jouet pour les petites filles, la poupée est reconnaissable par sa couleur rose intense, entre vulgarité et niaiserie. Le Rose envahi alors les rayons de jouets ou de vêtements pour enfants, permettant de différencier le côté fille du côté garçon en un coup d’œil. Une stratégie commerciale poussant les parents à acheter des jouets différents selon le sexe de leur bébé. Un système qui commence à être remis en cause aujourd’hui.
Je m’arrête là pour l’Histoire du Rose. J’espère que cet article vous a plu. La semaine prochaine, je publierai un nouvel article sur le thème du Rose et ses significations. D’ici là, n’hésitez pas à commenter, partager, et visiter mon site pour lire d’autres articles tels que celui sur la couleur Bleu : Son Histoire.
Conférence M. Pastoureau, Rose, histoire et symbolique d’une couleur, Fondation de l’Hermitage, 13/10/2022
